Une étude publiée en mai 2020 nous apprenait que des conditions de température et d’humidité insupportables pour l’être humain ont été mesurées ces dernières années, alors que les modèles ne prévoyaient ces conditions que pour la fin du 21ᵉ siècle. Ces conditions extrêmes sont une des conséquences des changements climatiques sur la santé. Ainsi, à l’heure de la mise en place des plans de résilience aux pandémies, c’est une occasion d’y intégrer la résilience climatique, c’est-à-dire la capacité de répondre aux défis posés par les changements climatiques.
Pour en savoir plus sur ce sujet, nous nous sommes entretenus avec Sara Ferwati, épidémiologiste travaillant au Nunavut. Elle a obtenu une maîtrise en santé publique et une maîtrise en biochimie à l’université McGill. Elle est également la co-fondatrice de Climatable, une organisation à but non lucratif basée à Montréal qui vise à impliquer les Canadiens dans l’action climatique.
Dans la première partie de cette interview, nous avons exploré les liens entre les changements climatiques et la santé de la population dans le contexte du Canada. Nous nous sommes intéressés à l’impact des changements climatiques sur le système de santé canadien et les façons dont les gouvernements peuvent y répondre.
Voici la deuxième et dernière partie de notre interview avec l’épidémiologiste Sara Ferwati.
1. Comment analyser les coûts des changements climatiques sur les systèmes de santé?
SF: “Le risque climatique dans le domaine de la santé amène à un phénomène d’« accumulation de risques ». Cela signifie que le risque climatique augmente la gravité des menaces existantes et qu’il donne lieu à de nouveaux risques, qui même sans être directement corrélés les uns aux autres, se renforcent mutuellement. Ces liens peuvent être expliqués en établissant des connexions avec les risques sanitaires, nous les avons décrits dans le premier article. Il n’existe donc pas de moyen simple d’analyser les coûts, car il est souvent difficile de mesurer l’impact total des changements climatiques sur la santé. Pour avoir une estimation complète des coûts, il est nécessaire d’adopter une approche globale. Cette approche ne doit pas seulement prendre en compte les coûts médicaux classiques, elle doit également prendre en compte le coût lié à la diminution de la qualité de vie, lui-même associé à la pression des phénomènes climatiques. De même, les programmes d’aide sociale sont considérés comme des interventions de santé publique, et une analyse de coût globale devrait donc inclure le coût de ces interventions. Si nous devions tirer une leçon de cette pandémie, c’est que l’absence de plan de résilience sera coûteuse, et qu’un plan d’adaptation efficace qui tient compte des risques sanitaires existants est primordial pour réduire les coûts.”
2. Compte tenu du contexte actuel lié à la COVID-19, nous nous attendons à ce que de nombreuses collectivités locales et régionales investissent dans des plans de résilience aux pandémies. Quels sont les compromis et les synergies possibles entre résilience aux pandémies et résilience climatique ?
SF: “Pour répondre à cette question, nous pouvons comparer les synergies aux compromis:
D’abord, les synergies :
Pendant la pandémie, tous les secteurs se sont en quelque sorte tournés vers le télétravail, y compris le secteur de la santé. Si cette évolution se poursuit après le confinement, cela peut aider à :
- Réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport tout en diminuant les risques sanitaires liés à la pollution.
- Réduire les écarts socio-économiques et sanitaires qui existent dans les communautés rurales et éloignées : écarts que les changements climatiques vont aggraver.
Certains des investissements actuels dans la lutte contre les pandémies ont été consacrés au renforcement de la surveillance des maladies, des technologies de l’information et de la capacité de réaction des pays. Nombre de ces investissements pourraient être utilisés pour surveiller toutes sortes de maladies liées au climat. Ils permettraient également de renforcer la capacité physique des salles d’urgence et des services de santé mentale en réponse aux pandémies et aux catastrophes liées au climat.
Le gouvernement canadien a mis en place de nombreux fonds d’aide sociale pour faire face aux conséquences de la pandémie. Les menaces sanitaires dites « secondaires » et les conséquences des mesures de précaution de la pandémie reflètent celles des changements climatiques. L’infrastructure administrative mise en place pour fournir des ressources aux communautés dans le besoin peut également être adaptée pour faire face aux catastrophes climatiques.
Les compromis :
Les fonds d’urgence qui peuvent être utilisés pour répondre aux catastrophes liées au climat peuvent également être utilisés pour répondre aux pandémies telles que la COVID-19. Par exemple, le gouvernement de l’Alberta a prélevé 153 millions de dollars sur son fonds d’urgence et de catastrophe pour répondre à la pandémie de COVID-19 et aider les agriculteurs durement touchés. Cela signifie que la capacité de l’Alberta à réagir aux futures catastrophes liées au climat sera réduite en raison des dépenses occasionnées par la COVID-19.
Les communautés les plus impactées par la pandémie sont également les plus vulnérables aux changements climatiques. Il est donc plus difficile et plus coûteux d’apporter une aide adéquate en cas de catastrophe, car cela nécessiterait des équipements et des stratégies qui réduiraient le risque de propagation de l’infection.”
3. Prenons une vue d’ensemble. À votre avis, sur quels points les responsables de collectivités locales devraient-ils se concentrer pour améliorer à la fois la résilience aux pandémies et la résilience climatique?
SF: “Voici quelques mesures que les gouvernements doivent, selon moi, prendre pour faire face à la fois à la pandémie et à la résilience climatique, par ordre de complexité.
Premièrement, la forte demande de fournitures médicales, en particulier de masques et de désinfectants pour les mains, a entraîné des pénuries, ce qui fait courir un grand risque au personnel de santé. La production locale permettrait de remédier aux facteurs limitant les importations et la distribution. Cela permettrait non seulement de réduire les émissions liées aux importations, mais aussi de réagir plus rapidement aux épidémies et aux catastrophes liées aux changements climatiques.
Deuxièmement, il faut augmenter les investissements dans les programmes liés à la santé mentale ; il faut également que ces programmes soient culturellement adaptés à ceux qui en bénéficient. Ces programmes sont nécessaires pour lutter contre la dépression, l’anxiété, le chagrin et le stress post-traumatique qui résultent des pandémies et des catastrophes liées au climat.
Troisièmement, les gouvernements peuvent soutenir des mesures d’aménagement urbain prises pour faire face à la surpopulation dans les espaces publics. On peut ici citer l’augmentation de la taille et de la couverture des voies piétonnes et cyclables. Ces mesures réduisent à la fois le risque d’infection dans les transports tout en permettant le développement de modes de transport à faible émission de carbone.
Quatrièmement, mais certainement pas le moindre, la pandémie de COVID-19 a mis en évidence certaines des inégalités socio-économiques qui existent dans nos communautés. Il s’agit notamment des problèmes liés au surpeuplement des logements et à l’inaccessibilité des programmes de prestations sociales pour les réfugiés. Ces inégalités augmentent le risque d’infection tout en exacerbant les désavantages auxquels ces groupes sont confrontés. Par conséquent, l’identification et la résolution de ces inégalités constituent un levier important pour accroître notre résilience aux pandémies et aux changements climatiques.”
Ces propos ont été recueillis par Amir Nosrat
Toute l’équipe de CCG remercie chaleureusement Sara Ferwati d’avoir répondu à nos questions. Nous vous invitons à découvrir Climatable, l’organisation à but non lucrative cofondée par Sara.
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