Changement climatique et santé – partie 1

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Les différents niveaux de gouvernement se préparent à tirer les leçons de la récente pandémie. Nous nous attendons à ce qu’ils mettent en place des plans de résilience afin de préparer leurs citoyens à faire face aux futures épidémies. Comme le répète la prestigieuse revue The Lancet avec son Compte à rebours sur la santé et les changements climatiques, ces deux sujets sont très intimement liés. Ainsi, nous pensons qu’il s’agit d’une excellente occasion de développer des plans intégrés de résilience aux pandémies et de résilience climatique., cette dernière étant la capacité de répondre aux défis posés par le changement climatique. Pour en savoir plus sur ce sujet, nous nous sommes entretenus avec Sara Ferwati, épidémiologiste travaillant au Nunavut. Elle a obtenu une maîtrise en santé publique et une maîtrise en biochimie à l’université McGill. Elle est également la co-fondatrice de Climatable, une organisation à but non lucratif basée à Montréal qui vise à impliquer les Canadiens dans l’action climatique.

En tant que défenseure passionnée par la santé publique et le changement climatique, elle a accepté de répondre à nos questions, traitant de ces deux sujets.

Voici la première partie de notre interview avec Sara Ferwati.

1- Pour beaucoup, le lien entre le changement climatique et la santé est abstrait. Pourriez-vous nous aider à établir ces liens en nous expliquant les effets croisés entre changement climatique et santé dans le contexte du Canada ?

SF: “Le changement climatique a de nombreuses interactions complexes avec les dimensions sociales et environnementales de la santé publique. Alors que le changement climatique intensifie les risques sanitaires existants et en introduit de nouveaux, il est également à noter que ces risques ne nous toucheront pas tous de la même manière. En particulier, l’impact du changement climatique sur les populations peut varier en fonction de l’âge, des ressources économiques et de la localisation.

Les effets du changement climatique sur la santé peuvent être classés en trois grandes catégories :

Augmentation des températures saisonnières et des chaleurs extrêmes

La chaleur extrême se définie comme “les températures estivales qui sont beaucoup plus chaudes et/ou humides que la moyenne”. La chaleur extrême a été directement associée à des décès dus à des maladies cardiovasculaires et respiratoires. Par exemple, en 2018, Montréal a connu le mois de juillet le plus chaud enregistré depuis 97 ans. Pendant cette vague de chaleur, les autorités sanitaires ont enregistré près de 6 000 appels d’ambulance et 66 décès liés à ces conditions. Les groupes démographiques les plus vulnérables sont les personnes âgées, les très jeunes et les personnes souffrant de maladies mentales et chroniques.

La hausse des températures peut également affecter la qualité de l’air en augmentant le niveau de polluants et d’allergènes qui peuvent aggraver les maladies cardiovasculaires et respiratoires, en particulier l’asthme ; actuellement, on enregistre plus de 3 millions de personnes souffrant d’asthme au Canada.

L’augmentation de la température peut également endommager les infrastructures. Le pergélisol (ou permafrost) couvre 40 à 50 % de la superficie du Canada. La fonte du pergélisol rend difficile la construction et l’entretien des infrastructures, notamment les routes, les bâtiments, les pipelines et les aéroports. Cela affecte également les logements, les prestations de services de santé et les canaux de distribution des biens essentiels, qui sont tous des éléments primordiaux pour la santé.

Enfin, la hausse des températures saisonnières peut affecter la sécurité alimentaire des communautés de chasseurs, comme celles du Nunavik et du Nunavut. De nombreuses communautés autochtones du nord du Canada dépendent de la chasse qui représente une source importante de nourriture. Le changement des températures affecte la chasse car il modifie la répartition des animaux. Cette situation est aggravée pour les communautés nordiques qui se déplacent sur la glace de mer. Les variations d’épaisseurs de la glace dus à l’augmentation des températures saisonnières contribuent à limiter dans le temps les déplacements et la chasse. Enfin, cette dernière est non seulement essentielle à la sécurité alimentaire, mais elle constitue également un élément important de la continuité culturelle, et donc un pilier important de la santé mentale.

Catastrophes naturelles et pluviométrie variable

Les catastrophes naturelles et la variabilité des cycles de la pluie ont un impact sur la santé en provoquant des blessures, des facteurs de stress sur la santé mentale, des pénuries de nourriture et d’eau et un accès limité aux soins de santé. À l’échelle mondiale, le nombre de catastrophes naturelles liées aux conditions météorologiques a plus que triplé depuis les années 1960.

Au Canada, les températures plus élevées exacerbent les feux de forêt, les rendant plus difficiles, voire impossibles, à éteindre. Les incendies entraînent des déplacements de population, des blessures et des dégâts pour les infrastructures. L’incendie de 2016 à Fort McMurray, par exemple, a forcé la plus grande évacuation de l’histoire de l’Alberta, avec jusqu’à 88 000 personnes déplacées.

Les inondations et les précipitations extrêmes augmentent également en fréquence et en intensité. Les inondations contaminent les réserves d’eau douce, augmentent le risque de maladies transmises par l’eau et créent des zones de reproduction pour les insectes porteurs de maladies tels que les moustiques. Outre l’augmentation des risques de blessures et de maladies, les catastrophes naturelles liées au climat ont également été associées à de nombreux problèmes de santé mentale. Les catastrophes naturelles mentionnées ci-dessus, entre autres, ont des conséquences sur la santé mentale des personnes touchées. Des études sur les incendies de Fort McMurray, en Alberta, suite à l’évacuation totale en 2016, suggèrent que les impacts psychologiques de ces incendies étaient très répandus et susceptibles de persister après l’évacuation.

Modèles d’infection

Le changement climatique augmente le risque de maladies transmises par les insectes et les animaux. Les conséquences du changement climatique, telles que l’augmentation de la température, les inondations et les sécheresses, modifient la portée et la propagation de ces maladies. En conséquence, il est probable que le changement climatique augmente le risque d’introduction de nouvelles maladies infectieuses, de propagation de maladies du sud vers le nord et de réémergence d’anciennes maladies infectieuses. Par exemple, il est bien établi au Canada que les changements dans le cycle des précipitations et l’augmentation de la température augmenteront la propagation de la fièvre du Nil occidentale et de la maladie de Lyme. Les cas de maladie de Lyme signalés au Canada ont déjà augmenté, passant d’environ 150 en 2009 à près de 1 500 en 2017.

Nous pouvons résumer cela de la sorte:”

Changement climatique et santé

2- Penchons-nous sur notre système de santé ici au Canada : comment le changement climatique pourrait-il affecter la capacité à fournir des soins de santé ? 

SF: “Le changement climatique va accroître les dommages causés aux infrastructures et provoquer des interruptions de services médicaux. Actuellement, les dossiers médicaux électroniques sont un outil essentiel pour l’administration de la santé et la surveillance des maladies. Les catastrophes naturelles peuvent provoquer des coupures de courant qui entraînent des retards administratifs en perturbant ces systèmes numériques. Par exemple, l’ouragan Juan a causé des dommages physiques à l’hôpital général Victoria de Halifax, où le toit a été partiellement arraché et où huit étages ont été endommagés par l’eau. Cela a entraîné le déplacement de 200 patients et la fermeture de la salle d’opération pendant 4 semaines. En outre, comme nous l’avons vu avec la COVID-19, les systèmes de soins de santé ont souvent été surchargés, entraînant les retards des autres services et des procédures médicales.”

3- Quelles mesures fortes, les gouvernements canadiens peuvent-ils prendre pour améliorer la résilience de la santé, mais aussi la résilience climatique ? 

SF: “Je vois deux réponses en matière de santé : les plans de santé préventifs et les plans de santé d’urgence. Un plan préventif permettrait de réduire les risques sanitaires aggravés par le changement climatique tandis que les plans sanitaires d’urgence permettraient de faire face aux nouveaux risques sanitaires créés par le changement climatique.

Les plans d’adaptation préventifs comprendraient : le renforcement de l’accès aux services de santé mentale et un accès culturel pour les populations indigènes et minoritaires, ainsi que l’évaluation et le traitement des lacunes en matière d’équité sanitaire (la sécurité alimentaire, l’eau et le logement).

Les plans d’adaptation d’urgence comprendraient : l’évaluation des sites sûrs pour la mise en place de soins de santé et de services essentiels ; l’évaluation de la sécurité des établissements déjà existants ; la formation des travailleurs de la santé pour répondre aux urgences ; l’augmentation du nombre d’équipements médicaux ; la création d’un fonds d’urgence pour ceux dont les revenus et les foyers seront touchés directement ou indirectement par le changement climatique.”

Ces propos ont été recueillis par Amir Nosrat

Retrouvez ici la deuxième partie de notre interview avec Sara Ferwati.

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