Comment les institutions financières s’approprient le risque carbone?

De quel côté du spectre économique la pression liée à un avenir sobre en carbone vient-elle? Un secteur clé pourrait nous donner la réponse : le secteur financier !

En effet, le secteur financier a fait des progrès dans l’investissement responsable depuis de nombreuses années et il a accéléré son rythme depuis 2015. La position internationale de la finance lui permet d’appréhender très rapidement les contraintes qui se mettent en place sur les entreprises. Et ils s’organisent pour faire face à ce nouveau défi.

Alors que l’investissement responsable avait fait sa place dans l’univers de la finance,  le PRI a décidé de lancer l’Engagement de Montréal sur le Carbone (Carbon Pledge) en 2014. Par ce biais, les investisseurs s’engagent à divulguer, de manière volontaire, l’empreinte carbone de leurs portefeuilles. Aujourd’hui, il y a plus de 120 signataires avec plus de 10 trillions de dollars US d’actifs en gestion. L’engagement de réduire l’empreinte carbone était la suite logique. C’est donc ce que la Coalition de Décarbonisation des Portefeuilles propose (Carbon Portfolio Decarbonization). Elle a été signée par 25 investisseurs supervisant la décarbonisation de  600 milliards de dollars US sur 3,2 trillions de dollars d’actifs en gestion.

Mais que regardent précisément les investisseurs? Voici quelques-uns des critères qu’ils prennent en compte.

Contribution aux changements climatiques (climate friendliness)

Les investisseurs peuvent en effet vouloir aligner leurs actes avec leurs déclarations publiques en montrant que l’intensité carbone de leurs portefeuilles est moins forte que des indices de référence. Par exemple, la Caisse des Dépôts en France vise une réduction de 20% de l’empreinte carbone de ses portefeuilles d’actions d’ici 2020 par rapport à 2015.

Pour évaluer la contribution aux changements climatiques, la réalisation d’une empreinte carbone est la première étape pour fournir une bonne estimation; en particulier, si les émissions externes (appelées émissions scope 3) sont comptabilisées. C’est d’autant plus vrai car pour certaines entreprises, comme les distributeurs de carburant, dont les émissions scope 3 sont majoritaires et doivent être prises en compte dans l’évaluation finale. Bien sûr, l’empreinte carbone peut être améliorée en incluant par exemple les réductions d’émissions de carbone grâce aux technologies vertes, ce qui fournit une image plus précise de la contribution du portefeuille aux changements climatiques.

Exposition aux risques des changements climatiques

Les investisseurs sont confrontés à deux nouveaux risques relatifs à la gestion de leurs actifs.

Le premier est le risque associé aux impacts des changements climatiques. Alors que les changements climatiques sont directement responsables d’une variété de risques physiques, la principale conséquence est la perturbation de la chaîne de production en raison d’événements extrêmes. Une analyse en détail est habituellement nécessaire pour évaluer correctement la vulnérabilité climatique des actifs existants.

Deuxièmement, avec l’accord de Paris quasi en vigueur, la transition vers une économie sobre en carbone pourrait mettre des actifs à risques. Le meilleur exemple se trouve être les investissements massifs dans les mines de charbon aux États-Unis. Ces actifs sont en train de perdre de la valeur alors les centrales à charbon sont vouées à disparaître; ils sont essentiellement considérés maintenant comme «actifs échoués» (stranded assets). Une empreinte carbone offre une vue pertinente sur ce risque, en évaluant les conséquences d’une taxe supplémentaire sur le carbone.

Un autre indicateur utile est la métrique «vert-brun» qui évalue les proportions d’actifs à faible intensité carbone versus ceux à haute intensité carbone.

Des opportunités

Pour regarder les opportunités, il est nécessaire d’évaluer la contribution d’un portefeuille à la transition vers une économie bas carbone, comme la loi française l’exige maintenant des investisseurs. En effet, comme l’empreinte carbone est une mesure basée sur des données du passée, il est nécessaire de considérer les évolutions à venir pour évaluer la façon dont les entreprises sont alignées avec une trajectoire 2°C. C’est un domaine encore en développement; certaines méthodes ont récemment été proposées et d’autres devraient être mis à disposition à la fin 2016.

Conclusion

L’évaluation des risques climatiques est devenue incontournable dans la compréhension de l’exposition d’un portefeuille aux risques. A cet effet, l’empreinte carbone est une métrique fiable pour obtenir une première image de la situation.

Il y a un consensus sur le fait qu’il faut des indicateurs complémentaires pour une compréhension complète des risques et opportunités liés à la transition bas carbone, mais l’empreinte carbone reste la pierre angulaire dans l’évaluation d’un portefeuille. Comme tel, elle fournit une image de l’état actuel et permet d’effectuer des comparaisons; elle permet également de fixer des objectifs.

Des études ont montré que l’intégration des émissions Scope 3 dans le calcul de l’empreinte carbone des portefeuilles assure une prise en compte  plus robuste de l’exposition au risque. En outre, le développement des métriques prospectives permettra de vérifier que les investissements s’alignent sur la trajectoire 2°C.

Par Jean Paquin, VP exécutif à Groupe Conseil Carbone

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